Nabokov ne manquait jamais une
occasion de railler Freud, le charlatan viennois qui, à ses yeux,
avait le tort de tout ramener au sexe et a feint de considérer le
sexe comme «une platitude», déclarant avec une certaine dose de
mauvaise foi: «Laissons tomber le sexe!» Les spécialistes de Nabokov
n’ont donc jamais osé violer l’interdit édicté par le maître et se
sont contentés, pour la plupart, d’annoter l’œuvre à
l’infini.
Certes, Nabokov n’a rien d’un pornographe: il utilise
le sexe comme un «auxiliaire de l’art», le désir devenant le moteur
principal de la relation esthétique dans ses romans. Le désir dont
il fait l’anatomie n’est pas simple besoin, ni demande: c’est un
absolu qui passe par le défilé des névroses et des perversions et
s’accompagne bien souvent d’une cruauté inouïe. Même dans Ada, ce
roman où le merveilleux côtoie la science-fiction, l’amour fusionnel
entre un frère et sœur se nourrit de la torture infligée à leur
demi-sœur.
Cet essai, qui s’articule autour de concepts
empruntés à la théorie freudienne et lacanienne, constitue donc la
première lecture psychanalytique des romans de Nabokov. Il examine
avec minutie un certain nombre de passages que la critique, faute
d’audace ou d’outils appropriés, avait passés sous silence, faisant
ainsi apparaître «une figure dans le tapis» qui est loin d’avoir la
sérénité olympienne, mâtinée de métaphysique, que les exégètes
anglophones ont trop souvent cherché à promouvoir.