Vladimir Nabokov

NABOKV-L post 0011062, Sat, 19 Feb 2005 14:53:13 -0800

Subject
Pivot/Nabokov interview (inter alia) on CD
Date
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samedi 19 FĂ©vrier 2005
Mise Ă  jour 11h15 - Paris

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3208,36-398730,0.html

: Pivot'strophes
Les émissions littéraires du service public étant devenues ce qu'elles sont, c'est-à-dire pas grand-chose, on s'est consolé hier soir avec une orgie de Pivot. Des heures et des heures passées en compagnie d'écrivains considérables interviewés il y a plus de vingt ans par le créateur ...
Friday 2005-02-18, Le Monde (French)


samedi 19 FĂ©vrier 2005

La chronique d'Eric Fottorino
Pivot'strophes
LE MONDE | 18.02.05 | 12h51
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Les émissions littéraires du service public étant devenues ce qu'elles sont, c'est-à-dire pas grand-chose, on s'est consolé hier soir avec une orgie de Pivot. Des heures et des heures passées en compagnie d'écrivains considérables interviewés il y a plus de vingt ans par le créateur d'"Apostrophes", au temps où la littérature s'incarnait à l'écran avant minuit, avec des auteurs qu'on laissait parler ou faire silence, si le silence était aussi leur manière d'exister.

Ce fut une belle soirée en vérité, grâce aux DVD simplement intitulés "Les grands entretiens de Bernard Pivot", édités par Gallimard et l'INA. On a commencé avec Albert Cohen en robe de chambre rouge, maillot de corps et monocle, parlant de sa mère et des femmes pour qui chaque fois il écrivait, évoquant "la grandiose période du début de l'amour" et le tragique du baiser, "cette soudure de deux tubes digestifs".

Puis on a poursuivi avec les deux Marguerite cueillies l'une dans sa maison américaine de l'île des Monts-Déserts (Yourcenar) ou à même le studio d'"Apostrophes" (Duras). Sublime sourire de "la" Crayencour avouant avoir, enfant, désiré la gloire, et faisant figurer la mention "écrivain" sur son passeport à l'âge de 25 ans. Magnifique aveu de Duras écoutant la question de Pivot : "Qu'est-ce qui vous a attiré en lui ?", à propos du Chinois de L'Amant, et articulant : "L'argent, la douceur".

Comme le sommeil faisait grève, on a ensuite rendu visite à un Vladimir Nabokov plus monumental que nature, planqué derrière une muraille de ses propres livres pour mieux consulter ses antisèches et répondre à Bernard Pivot avec l'air d'improviser, mais lisant des répliques toutes prêtes avant de demander qu'on lui verse un liquide ambré ressemblant à du thé. Un thé titrant les 40 % de whisky au bas mot (s'il existe des bas mots dans l'œuvre du papa de Lolita).

Puisque vraiment nos yeux ne se fermaient pas, le lecteur de DVD a avalé sans protester un Simenon digne et désespéré après le suicide de sa fille tant aimée Marie-Jo, d'un coup de pistolet dans la poitrine. Pivot se demandant, dans une introduction tournée en 2003, si l'auteur de Maigret ne devient pas Maigret lui-même quand il cherche à voix haute où Marie-Jo avait bien pu se procurer une arme et des munitions.

Chaque fois, on est resté pantois devant ces images et ces mots. Fasciné par l'art bonhomme de Pivot, sa fausse désinvolture cachant un travail immense de lecture préparatoire. Tant d'années après, ce travail est là, intact. Et payant pour qui regarde. Pas d'esbroufe. De l'attention. De l'empathie. De la vigueur pour pousser gentiment l'écrivain à s'ouvrir aussi bien qu'un livre.

Il faut entendre Albert Cohen racontant son héros Solal entrant "dans le royaume non antisémite des femmes". Il faut entendre Nabokov parler de son écriture matinale, debout devant un lutrin, avec un crayon bien taillé. Il faut aussi écouter Pivot quand il ne dit rien, qu'il se contente d'observer, de relancer d'un regard, de pousser à la confidence d'un haussement de sourcils en forme d'"ouvrez les guillemets". Du coup on a "raté" hier soir la centième de "Campus". A-t-on raté quelque chose ?

(Cette chronique s'interrompt. Elle reprendra dans Le Monde du 8 mars.)

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 19.02.05